Dans les coulisses de l’hypercroissance

Passer de 20 à 125 employés, je l’ai vécu.

Et si je peux vous dire une chose, c’est que la croissance, ce n’est pas qu’une histoire de traction ou de ventes qui explosent. C’est surtout une aventure humaine et organisationnelle, où chaque étape de développement révèle de nouveaux défis.

Durant mes années chez PixMob, j’ai vu de l’intérieur ce que signifie grandir vite, parfois trop vite.

Les équipes qui se forment et se transforment, les processus qui peinent à suivre, la communication qui se complexifie, les marges qui s’érodent sans qu’on comprenne tout de suite pourquoi. Et aujourd’hui, en tant que COO fractionnelle, j’accompagne des entreprises qui traversent les mêmes turbulences : la fameuse transition entre le “tout le monde fait tout” et la structuration nécessaire pour scaler durablement.

J’ai rassemblé ici les enseignements tirés de plus de douze ans d’expérience en hypercroissance : ce que j’ai appris, observé, et parfois corrigé pour aider les fondateurs à anticiper les écueils que j’ai moi-même connus. Je vous les livre façon entrevue pour que ce soit instructif sans être ennuyeux.

Communication, culture, performance, rentabilité, structure… cinq leviers à surveiller de près si vous voulez scaler sans vous essouffler.

Q : Tu as vécu la croissance de PixMob de l’intérieur. Ça change quoi de passer de 20 à 100 employés ?

Passer de 20 employés à 100 ou 125 employés, ça ne se fait pas toujours facilement, et ça change énormément de choses à l’interne.

Effectivement, on passe d’une ambiance conviviale, presque entre amis, on fait des 5 à 7, on mange de la pizza le vendredi midi, à une toute autre ambiance. Quand il y a beaucoup de monde, des clans se forment, des silos apparaissent entre les départements.

Ça change aussi la manière de travailler. Il faut savoir beaucoup plus de choses, apprendre à collaborer différemment, et la communication devient un vrai enjeu. On ne peut plus communiquer autour de la machine à café à 120 personnes comme on le faisait à 10 ou 20.

Q : Quel a été, pour toi, le premier choc de cette hypercroissance ?

Le premier choc, c’est quand tu croises quelqu’un dans le couloir et que tu ne sais absolument pas qui c’est ni ce qu’il fait. C’est étonnant, parfois déroutant.

Ça ne m’est pas trop arrivé, car j’étais souvent impliquée dans les recrutements, mais je voyais bien que ce moment-là créait une vraie rupture pour certains : on ne se connaît plus tous, et ça change profondément la dynamique d’équipe.

Q : Côté RH, qu’est-ce qui t’a marqué ?

Au niveau RH, le plus marquant pour moi, ça a été la difficulté à préserver la culture de l’organisation, et je ne m’y attendais pas du tout.

Quand on est 20 ou 25, c’est facile de reconnaître les bons comportements, de savoir comment interagir, de bien connaître tout le monde. Mais quand il y a beaucoup de nouvelles personnes, surtout quand la croissance est rapide, il devient très difficile de préserver cette culture, de garder les mêmes façons de faire, les mêmes comportements.

Je me suis rendu compte que la croissance, ce n’est pas seulement ajouter des gens pour augmenter le revenu. Il faut transformer l’organisation. C’est un vrai changement profond, et surtout, ça doit s’organiser. Ça ne se fait pas sans heurts.

Q : Si tu avais un CEO face à toi aujourd’hui, quels seraient vos conseils pour bien aborder cette phase de croissance ?

La première chose, c’est de clarifier ses attentes, sa vision et les objectifs de l’entreprise. C’est essentiel que tout le monde sache où on veut amener l’organisation et que chacun soit aligné sur ces objectifs.

Mon deuxième conseil : que chacun sache clairement quel est son rôle et sa responsabilité dans l’atteinte de ces objectifs. Tout le monde doit comprendre ce qu’il a à faire au quotidien pour contribuer au succès de l’entreprise.

Et enfin, le troisième point, c’est d’avoir un système opérationnel de croissance.

Structurer ses opérations, ses RH, ses processus de travail et de décision, sa communication. Avoir un vrai système qui soutient la croissance et permet de grandir de la bonne manière, avec le moins de douleur possible.

Q : Comment savoir si ton organisation est en train de saturer ?

Je pense qu’il y a trois signaux principaux.

Le premier, c’est la marge.

Souvent, on ajoute des gens dans l’entreprise pour générer plus de revenus, mais au final, c’est la marge qui s’érode. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas assez planifié ou qu’on n’a pas optimisé ses opérations.

C’est un signal hyper important.

Je dis toujours aux CEOs que je rencontre : gardez un œil critique et constant sur vos chiffres.

Le deuxième signal, c’est quand les erreurs se multiplient.

Des délais de livraison qui s’allongent, des bugs techniques, des erreurs de facturation, des oublis… bref, quand les problèmes s’accumulent, c’est souvent le signe que ton organisation est en train d’atteindre ses limites.

Et le troisième signal, c’est quand les personnes clés deviennent des goulots d’étranglement.

Le CEO, le COO, le programmeur… si tout doit passer par eux, si chaque décision importante dépend d’une seule personne, tout se met à ralentir. Et là, c’est la productivité globale qui en prend un coup.

Q : Et quand tu vois ces signaux apparaître, qu’est-ce qu’il faut faire ?

D’abord, ne pas paniquer.

La première chose à faire, c’est de se recentrer et de retrouver le focus. Identifiez trois priorités claires pour le prochain trimestre. Si vous avez des problèmes de qualité produit, concentrez-vous là-dessus. Si la marge s’effondre, regardez précisément où part l’argent et où vous pouvez regagner du terrain.

Ensuite, regardez votre façon de travailler.Structurez vos flux de communication, clarifiez les processus décisionnels, analysez les processus critiques et repèrez où ça bloque.C’est souvent là qu’on peux regagner le plus — en efficacité, mais aussi en rentabilité.

Q : Tu parlais de l’importance d’avoir un système opérationnel de croissance, est-ce risqué de scaler sans ?

Ne pas s’organiser pour la croissance, ne pas avoir un système opérationnel solide, c’est dangereux. Parce que la croissance amplifie tout : les failles de communication, les problèmes de performance, les inefficacités dans les processus.

Le moindre gaspillage qui semble anodin quand on es petit devient colossal à grande échelle.

Imaginez perdre deux minutes par produit sur la chaîne de production. Quand vous en fabriquez cent, ce n’est pas dramatique. Mais quand c’Est 5 000, ces deux minutes se transforment en dizaines d’heures perdues… donc en milliers de dollars.

Q : Tu aurais un exemple concret ?

Oui, j’ai accompagné un CEO en forte croissance. Ses revenus augmentaient chaque année, mais à la fin, il ne gagnait pas plus d’argent.

On a regardé ses projets de plus près : sur papier, tout semblait rentable. Mais en creusant, on a découvert des charges fixes mal allouées, du temps non facturé, et énormément de pertes liées à la gestion administrative et au suivi des projets.

Il pensait que pour gagner plus, il fallait vendre plus. En réalité, il fallait se structurer mieux. Et dès qu’il l’a fait, la rentabilité est revenue, sans même avoir besoin de trouver plus de clients.

Q : Comment un entrepreneur qui grandit vite, peut-il éviter ce piège ?

Si vous sentez que vous allez scaler et que vous n’êtes pas tout à fait solide derrière, la première chose à faire, je pense, c’est de regarder les processus de communication et les processus décisionnels. C’est vraiment là le plus important.

Il faut que chacun ait une bonne information au bon moment et qu’il puisse prendre des décisions.

Il ne faut pas de bottleneck, comme on disait tout à l’heure. Il ne faut pas qu’il y ait une seule personne qui soit là et qui empêche d’avancer parce qu’elle n’est pas capable de prendre une décision au moment opportun.

La deuxième chose à faire, c’est aussi que les rôles et les responsabilités soient bien comprises. Si personne ne sait exactement sur quoi il doit vraiment travailler pour participer au succès de l’entreprise, c’est un vrai problème.

Et pour être capable de vérifier tout ça, de s’assurer qu’on a les bonnes informations et qu’on prend les bonnes décisions, je suis 100 % pour avoir un tableau de bord d’indicateurs de performance.

C’est ce qu’il y a de plus important.

Si vous voulez piloter votre croissance et ne pas la subir, organisez-vous, développez des KPI, dix ou douze, ça suffit,mais regardez les chiffres. Dotez-vous d’informations importantes qui vous aideront à prendre vos décisions, et surtout à les prendre rapidement.

Mon dernier conseil, c’est vraiment de ne pas scaler sans avoir une structure.

C’est comme si vous essayiez de monter un deuxième ou un troisième étage à votre maison sans avoir de fondations : à un moment donné, ça va s’écrouler.

Dotez-vous de bonnes bases pour faire grandir l’entreprise.

Et souvent, ça passe par une bonne stratégie, une bonne équipe performante et, bien sûr, des opérations optimisées : des processus qui fonctionnent, que ce soit au niveau décisionnel, communicationnel ou des processus de production.

Q : La culture d’entreprise, est souvent menacée quand une startup grandit vite. Pourquoi ?

Si vous grandissez vite, trop vite, c’est sûr que votre culture va être à risque. Pourquoi ? Parce que vous avez développé cette culture avec quelques premiers employés qui l’ont façonnée, qui se sont peut-être aussi adaptés à vos valeurs, à vos façons de travailler et qui ont construit une culture très forte, très axée sur la proximité. On est ensemble, on fait grandir l’entreprise ensemble.

Quand il y a une masse importante de nouveaux employés qui arrivent, tout est chamboulé. Les gens perdent un peu leurs repères, parce que ce n’est pas vrai qu’on arrive à recruter des copies conformes des gens qu’on a déjà dans l’entreprise. Les gens arrivent avec leur richesse, avec leurs différences, possiblement des différences aussi de culture, de façon de faire, de valeurs. Il faut intégrer tout ça et ce n’est vraiment pas facile.

Les anciens vont peut-être se refermer sur eux-mêmes, les nouveaux vont créer des silos, d’autres dynamiques de groupe, et l’engagement risque de baisser. C’est vraiment ça qu’il faut regarder. Quand la culture devient floue, qu’il n’y a plus les mêmes repères, plus les mêmes façons d’interagir ou les mêmes rituels, là, ça devient inquiétant. Il faut faire attention à ça.

Q : Vous avez déjà vécu ce genre de situation ?

Oui, je l’ai vécu durement. En fait, dans une équipe où on développait beaucoup de technologie, on avait besoin des meilleurs pour nous accompagner là-dedans. On a recruté effectivement des top talents, et je pense à une personne en particulier : un profil incroyable sur papier.

On n’était pas certains de son fit culturel, mais on l’a embauchée quand même, parce qu’on en avait besoin. Et ça a été une vraie erreur. Ça a complètement défocalisé l’équipe. Les anciens ne comprenaient plus comment quelqu’un qui avait des valeurs très opposées aux leurs avait pu intégrer l’équipe.

Cette personne a créé du bruit, des tensions, et au final, ça n’a pas été bénéfique. La relation d’emploi a fini par s’éroder, ce qui est normal, ça ne fonctionnait pas. Mais on a perdu beaucoup de temps à gérer les conflits et les problèmes de communication.

Si c’était à refaire, je ne referais pas cette embauche, même avec tout le talent du monde, pour éviter que la culture s’érode.

Q : Qu’est-ce qu’une entreprise peut faire pour préserver sa culture en grandissant ?

La première chose à faire, c’est de recruter des gens qui vont fiter culturellement avec l’équipe, c’est-à-dire des gens capables de bien s’intégrer et d’adopter les comportements que vous voulez voir dans l’entreprise.

La deuxième chose, c’est de ritualiser la culture : dans l’onboarding, dans les rencontres d’équipe, dans les rituels collectifs. Il faut nourrir la cohésion d’équipe et clarifier les comportements attendus, ce qu’est la culture et ce qu’on veut voir dans l’organisation.

Et si la culture s’érode un peu trop, on peut la retravailler ensemble. On peut la redéfinir pour s’assurer que tout le monde s’y retrouve, les anciens comme les nouveaux.

Moi, j’aime aussi parler d’ambassadeurs de culture. Bien sûr, le CEO doit être le premier ambassadeur, il doit incarner sa culture. Mais j’aime aussi qu’il y ait d’autres personnes dans l’entreprise, notamment au niveau de la direction, qui portent cette mission. Des gens qui incarnent et véhiculent les valeurs et la culture de l’organisation au quotidien. Ça peut vraiment changer la donne.

Q : Tu dis souvent que les startups perdent plus d’argent qu’elles ne le croient. Pourquoi ?

On peut imaginer que c’est beaucoup plus facile de perdre de l’argent que d’en gagner, surtout quand on est une startup en croissance. Mais je pense que la première erreur des entreprises qui grandissent vite, c’est de vouloir régler n’importe quel problème avec de l’argent.

On est surchargé ? On embauche. On perd du temps ? On achète un nouvel outil.

Bref, on investit du temps et des ressources pour régler chaque problème, souvent sans s’attaquer à la cause.

Q : Comment on détecte ces pertes ?

La première indication, c’est la productivité globale.

Vous pouvez comptabiliser le revenu généré par employé, ou par heure travaillée. Si, malgré une hausse de revenus, votre productivité baisse, c’est qu’il y a un problème.

J’interviens souvent sur des mandats où on me demande de régler des problèmes de rentabilité. Ça commence toujours par un audit de la rentabilité : voir comment les choses sont faites, repérer les pertes de temps et d’argent.

Q : Quelles sont les premières actions qu’un CEO doit poser pour reprendre le contrôle ?

D’abord, analyser la rentabilité, par projet, par type de client, ou par ligne de produit.

Ensuite, cartographier les processus pour trouver les inefficacités.

C’est vraiment les deux leviers les plus importants si vous voulez reprendre le contrôle. Et surtout, gardez les yeux sur vos chiffres.

Regardez l’argent qui rentre, celui qui sort, et ayez toujours ce réflexe : ne dépenser ou n’investir que dans ce qui crée de la valeur ou renforce la croissance.

Scaler sans s’essouffler

Après plus de douze ans dans les coulisses de l’hypercroissance, une chose est claire pour moi : la croissance ne résout rien, elle amplifie tout. Les petites frictions d’hier deviennent des blocages, les imprécisions deviennent des erreurs coûteuses, et les manques de clarté se transforment en désalignement stratégique.

Les startups et PME qui réussissent ne sont pas celles qui grandissent le plus vite, mais celles qui structurent intelligemment leur croissance.

Elles clarifient leurs priorités, responsabilisent leurs équipes, mesurent ce qui compte vraiment et construisent un système capable de soutenir l’ambition sans la subir.

Mon conseil : ne laissez pas votre croissance devenir une course à bout de souffle. Prenez le temps de poser vos fondations, de faire le ménage dans vos processus et d’investir dans ce qui vous rendra réellement plus fort.

Et si vous voulez savoir si votre organisation est prête à scaler, je vous invite à faire le diagnostic que j’ai conçu pour vous :

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